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ANNALES DU MUSÉE GUIMET.

dieux, devendram, sous son déguisement et courbé sous le poids d’une mauvaise action, lui dit avec colère : « Puisque tu as revêtu ma forme, mama rûpam, et que tu as fait, ô insensé, durmate, ce que tu ne devais pas faire, sois désormais impuissant^^1. » Et à l’instant les parties génératrices du dieu aux mille yeux tombèrent sur la terre et, mutilé, toute sa splendeur détruite, affecté de maladie, dompté par la terrible force de l’austérité, il devint lâche^^2. L’anachorète cependant s’en alla dans un lieu pur, fréquenté par les Siddhas et les Tchâraṇas, sur le sommet de l’Himavat, où il passa sa vie dans la pratique d’épouvantables mortifications. Pour Indra, il s’enfuit tout penaud et conta sa mésaventure aux dieux immortels, les suppliant de le guérir de sa difformité, de lui rendre sa virilité puisque, dit-il, c’est en agissant dans l’intérêt des Suras que j’ai été mis en cet état^^3. Alors les dieux précédés d’Agni s’adressèrent aux Pitris, leur proposant de couper les testicules à un bélier, meshaḥ, et de les donner au grand Indra. Ainsi fut fait, et à partir de ce moment Indra eut des testicules de bélier : इन्द्रश्च​ मेषवृषणस्ततः प्रभृति (indrashca meshavṛshaṇastataḥ prabhṛti).

On conviendra que ce conte témoigne d’un absolu manque de respect pour le dieu en qui se concentre le culte le plus assidu des aryas védiques, qu’une Upanishat identifie avec la prière par excellence^^4 et auquel le Rik consacre près d’un quart de ses hymnes^^5. Cependant étant donné le sujet principal du Râmâyaṇa, on ne saurait beaucoup s’étonner de ce manque de respect, car ce sujet, le héros Râma, avait un esprit éclairé, विदितात्मनः (viditâtmanaḥ)^^6. Mais quelle était la science qui l’éclairait ? Préalablement, d’après la connaissance que nous avons déjà de l’œuvre de Vâlmîki, répétons que la science qui respire dans toute l’épopée, qui s’y manifeste d’un bout à l’autre, c’est l’esprit de l’ascétique, la religion du renoncement, de l’abnégation, du sacrifice, dont le but est la connaissance de l’Être et, par suite, le bonheur suprême^^7. Devant le pouvoir transcendant de l’ascétisme, les dieux védiques,

1 Litt., à cause de cela devienne sans fruit : तस्मात् त्वं विकलो भव​ (tasmât tvaṃ vikalo bhava).

2 Litt., il tomba en défaillance : कश्म्लं सोऽविशत् (kashmlaṃ so’ vishat).

3 En causant du dommage aux pénitents, les dieux croyaient servir leur propre cause.

4 मन्तोऽहम् (manto’ ham) je suis la prière védique, fait dire à Indra la Bhagavad-Gîtâ, IX, 16.

5 C’est-à-dire 230 sur mille. Et ces 230 hymnes sont répartis dans tous les mandalas, sauf le 9me qui est spécialement consacré à Soma.

6 Râm., I, 46, 13.

7 V. Brihad-Aranyaka , II, 4, 1 sqq. ; IV, 5, 1 sqq.