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LE RÂMÂYAṆA.

la meurtrière de son époux, patighâtinîm, la honte de sa race, kulapânsanâm[1], il prend le résolution d’aller rejoindre Râma, dont l’ermitage lui est indiqué par l’anachorète Bharadvâja. Il se met en route avec une grande suite de guerriers et d’éléphants, et bientôt, pénétrant dans la vaste forêt, lui et son cortège aperçoivent la fumée, धूमं, de la cabane de l’exilé[2].

Cependant le Daçarathide, semblable à un immortel, अमरसंकाश​:[3], se tenait dans l’observance de son vœu, passant le temps de son bannissement dans le plaisir de considérer avec sa chère Sîtâ les beautés de la nature environnante, de s’absorber dans la contemplation de sa pensée, स्वं च चित्तं विलोभयन्[4], ou de faire des repas consistant en miel et en viandes préparées : मधुमांमं च संभृतं[5]. On voit que notre héros ne chôme pas de viande ; de racines, il n’en est jamais question. Cela a lieu d’étonner quelque peu, car bien que, comme nous l’avons déjà remarqué, les Indiens mangent volontiers de la viande, mânsa, ce n’est toutefois qu’à l’occasion d’une cérémonie religieuse, telles que noces, sacrifices ou repas en l’honneur des ancêtres, qu’ils se livrent à ce goût, et jamais ils n’ont fait de la chair des animaux leur nourriture ordinaire. Pour les anachorètes et les brahmaçaris, le conseil de Manu et de Pâraskara est qu’ils évitent le miel et la viande[6]. Pourquoi donc Râma en mange-t-il à temps et à contre-temps ? Notre poème ne le dit pas, et si ce n’est pas une licence d’auteur, je ne puis en trouver d’autre raison que celle déjà proposée, à savoir que, en sa qualité de dieu, Râma pouvait se dispenser de suivre la règle des mortels[7]. Il est vrai qu’il ignorait d’être un dieu, mais la nature nous guide à notre insu.

Quoi qu’il en soit, voilà que Bharata arrive avec son cortége, toute une armée, ce qui fait croire à Lakshmaṇa qu’il vient dans une intention hostile. Aussi

  1. Râm., Ib. 101, 28. Il est vrai de dire que le respect filial n’a jamais été dans l’Inde la vertu de famille dominante. Cela résulte déjà de plusieurs passages du Rig-Véda, p. ex. I, 70, 5 ; X, 85, 46 ; VIII, 51, 2. Les enfants allaient jusqu’à jeter dehors leurs vieux parents malades. Horrible !
  2. Ib. 102, 23 sqq.
  3. Ib. 103, 3.
  4. Ib., 103, 1. Cf. le « dive, throught, down to my soul » de Shakespeare (Richard III, I, 1.).
  5. Ib., 105, 35.
  6. वर्जघेम्मांसं मधुम् (Mân., VI, 14) ; Pâraskara, II, 5, 12 : मधुमांसम् वर्जयेत्.
  7. Depuis les temps védiques jusqu’à nos jours, la nourriture ordinaire des Indiens consiste en graines grillées, en farineux, en riz, en beurre, en fruits, en lait, en soma ou ses succédanée, et en miel.