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LE RÂMÂYAṆA.

les tyranniques râkshasas, je leur ai promis de les défendre, en prenant le monde pour témoin[1]. Je ne saurais manquer à ma promesse, surtout à une promesse faite à des brâhmanes : संश्रुत्य ब्राह्मणेषु विशेषतः. Toutefois, je t’ai écouté avec plaisir, chère Sîtâ ; ton conseil me prouve que tu m’aimes et m’es dévouée[2]. »

Et les voilà de nouveau en route, Râma devant, Sîta sur la file au milieu et Lakshmaṇa l’arc en main, dhanushpâṇir, par derrière. Bientôt ils arrivent au lac des cinq Apsaras qui fut jadis créé par le pouvoir de l’ascète Mandakarni[3]. Toute la nourriture de ce muni, qui resta assis pendant dix mille années sur la pierre nue, ne fut que le vent : दशवर्षसहास्त्रणि वायुभक्ष्यः शिलासनः. Aussi effraya-t-il les dieux, qui craignaient comme toujours que tant de pénitence ne leur enlevât la position qu’ils occupaient. Ils dépêchèrent donc à l’ascète cinq apsaras pour le séduire et le priver par suite du fruit de ses austérités. L’entreprise réussit à souhait. Le galant ermite créa pour ses belles maîtresses, patnîs, un lac et dans ce lac une demeure invisible, comme la fée le fit jadis chez nous pour le beau Lancelot, et La Motte Fouqué et Musæus de nos jours pour la gracieuse Ondine et la belle Bertha. Mais le type du mythe est Thétis en grotte au fond de l’océan[4].

Cependant Râma visite dans le clos de leurs ermitages, âçramamaṇḍalam, tous les munis de ces lieux et habite alternativement chez l’un ou chez l’autre, de sorte que dix ans se passent le plus agréablement du monde. Puis, il s’en retourne chez Sutîkshṇa pour s’informer de la retraite d’Agastya, le parangon de l’ascétisme et de la force. Il voudrait entendre sa parole, ne fut-ce qu’un instant[5]. Son hôte loue cette intention et lui trace l’itinéraire dans la direction du midi, dakshiṇena. Nos pèlerins parlent sans retard, et Râma raccourcit le chemin en contant à son frère une belle histoire de deux grands démons mahâsuran, qui méditèrent le meurtre des brâhmanes comme jadis les seigneurs perses celui des mages. À cet effet, Ilvala, l’un de ces rakshas,

  1. Râm., III, 14, 17.
  2. Ib., 14, 23.
  3. Ib., 15, 11.
  4. V. l’excellente trad. d’Isab. de Montolieu, p. 77 : « Les Ondins sont heureux dans leurs superbes demeures, sous leurs voûtes de cristal liquide, etc. Cf. Musæus, die Bücher der Chronika der drei Schwestern, p. 39 sqq. ; 1839. V. Ilias, XXIV, 83, sqq. Cf. Ib., XVIII, 35, sqq.
  5. Râm., III, 15, 35.