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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

En effet, à quelques jours de là et après qu’il eut magnifiquement installé la triste Sîtâ dans son palais de Lañkâ, le ravisseur forma le plan de faire assassiner Râma ; sans cela, se disait-il, je ne serais pas longtemps en repos. Il envoya donc des émissaires au lieu où séjournait le héros, pour qu’ils épiassent l’occasion de lui donner la mort. Dans tous les cas, ils devaient le tenir au courant des entreprises de l’époux outragé.

Cependant Sîtâ restait abîmée dans sa douleur au milieu des râkshasîs, ses gardiennes, राक्ष्सो मध्ये सोतां शोकपरायणां et les magnificences du palais, quoi que fit Râvaṇa pour l’y rendre sensible, ne firent aucune impression sur elle. Il eut beau lui répéter : « Pasya, pasya, regarde, regarde ! vois mes trésors, mes esclaves, ma puissance, tout cela est à toi, tu en es la souveraine dispensatrice, teshân tvam îçvarî, sois la souveraine aussi de ma personne, mama ca eva bhava îçvarî), rien n’y fit ; la noble femme restait sourde à cette voix corruptrice et ne retrouvait la parole que pour menacer son ravisseur de l’éclatante vengeance de Râma et lui dire en terminant :

« Jamais je ne consentirai librement à me déshonorer dans le monde : न श्क्रोम्युपक्रोशं पृथिव्यां घातुमात्मनः[1]. » Ce langage mettait le démon en fureur, et valut à sa courageuse victime d’être enfermée captive dans un bocage d’açokas[2], sous l’étroite surveillance d’une troupe de râkshasîs difformes.

Là dessus le poète nous introduit dans le ciel pour nous faire assister à une conversation de Brahmâ avec Indra, dont la conclusion est, que le roi des dieux ira trouver Sîtâ afin de la réconforter par un pot de beurre clarifié de première qualité, havir uttamam[3], et par l’annonce, que Râma ne tardera pas à venir avec une armée d’ours et de singes pour défaire en bataille rangée les suppôts de Râvaṇa, tuer ce démon lui-même, prendre Lañkâ et emmener son épouse délivrée sur le char Pushpaka. Le message d’Indra réjouit le cœur de Sîtâ ; toutefois avant de s’abandonner à la confiance, aussi avisée que Pénélope, elle demande à son céleste visiteur la preuve de son identité. À peine eut-il entendu ces mots, que le fils de Vasu se dressa droit

  1. Râm. III, 62, 26 sq.
  2. Genre d’arbre ou d’arbrisseau de la famille des papilionacées-caesalpiniées, à fleurs jaunes disposées en grappes terminales, exhalant une odeur délicieuse. Le naturaliste Haeckel en parle avec admiration dans ses Lettres de Ceylon, p. 110, 115. Le charme de cet arbre est exprimé déjà par son nom, açoka voulant dire « Sans douleur. » V. à son sujet les vers également charmants de Rückert.
  3. Râm. III, 63, 7.