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LE RÂMÂYAṆA.

du criminel et le lui laboura avec son bec et ses ongles. Mais Râvaṇa saisit son dard, sâyakam, et perçant le flanc du vaillant oiseau, il lui coupa encore les pieds et les ailes, de sorte que Jatâyu tomba du haut de l’air et tarda peu à rendre le dernier soupir. Grandes furent les lamentations de Sîtâ et désespérés ses cris de « Râma ! Lakshmaṇa ! sauve moi ! sauve moi ! » मुञ्च मुञ्च. Rien ne répondit à ce suprême appel, et le démon, pressé d’en finir, saisit par les cheveux sa triste victime et continua sa route aérienne. À ce moment, la nature se couvrit d’une profonde obscurité[1] et on entendit dans les ténèbres la voix du Père des êtres, pitâmahaḥ, dire avec solennité : « Tout est consommé, कृतं कर्यिम्. » Et toutes les créatures de se lamenter sur le crime et de s’écrier dans leur douleur : « Il n’y a plus de loi : नास्ति धार्मः, plus de vérité, सत्यं, plus d’honnêteté, नार्जवं, plus de bonté ! नानृशंसता. »

Sîtâ cependant, emportée rapidement, gémissait et ne cessait de faire des reproches à Râvaṇa et de le menacer de la vengeance de son magnanime époux. « Dans quel lieu irais-tu pour lui échapper ? Partout il te trouvera et te terrassera comme il a terrassé les 14000 rakshasas[2]. « Mais Râvaṇa n’eut cure des plaintes, des pleurs et des menaces de sa victime. Il continua en droite ligne, à travers monts et vaux, sa route vers la ville de Lañkâ, où, ayant franchi la mer, il entra et déposa sa proie. Puis, il la remit à la garde de ses piçâcîs, leur ordonnant de n’admettre absolument personne en la présence de Sîtâ, mais de la traiter d’ailleurs avec tous les égards dûs à son rang. Et tranquille et plein de confiance dans ses ressources, il crut que l’affaire était finie[3]. Si pourtant il avait été bien au courant d’une autre philosophie que celle de l’égoïste Sânkhya, il aurait su que sa qualité de démon le dotait d’hypocrisie, d’orgueil, de colère, de présomption et de sottise, et qu’ainsi, né avec le mauvais destin, संपदमासुरीं[4], il n’avait rien de bon à espérer mais tout à craindre.

Mais nous voilà in medias res et notre poème arrivé à son période.

  1. जगत् सर्वममर्यामस्धेन तमसावृतं (Râm., III, 58, 16, cf. 41.)
  2. Ib., ib., 59, 24.
  3. Ib., 61, 1.
  4. Bhag. Gîtâ, XVI, 4 ; cf. XIV, 17.