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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

Mais l’idenlification que nous proposons de Keresàni et d’Alexandre ne repose pas seulement sur une induction historique : elle peut aussi invoquer le témoignage direct d’une ancienne tradition. Le Bahman Yasht, texte pehlvi du haut moyen âge, passant en revue les rois bienfaiteurs et restaurateurs de la religion, cite dans le nombre « les rois arsacides qui chassent du monde l’hérésie qui y dominait et détruisent l’impie Alexandre, le Kilisyâk ». Or, le mot Kilisyâk est précisément le terme qui, dans la traduction pehlvie du Hôm Yasht, rend Keresâni. Kilisyâk, il est vrai, est un nom commun, non pas un nom propre : mais rien ne prouve non plus que Keresâni soit, ni pour l’auteur ni pour la tradition, un nom propre ; l’emploi du démonstratif tem avec Keresânim porte plutôt à penser qu’il est déjà dans l’Avesta une simple épithète. D’ailleurs Kilisyâk se retrouve comme traduction du mot keresa, dont sont probablement dérivés et Keresâni et Kilisyâk, et qui désigne un être malfaisant, exorcisé par Zoroastre en compagnie des brigands et des démons 5[1], de sorte que nous arrivons à la conclusion que Keresâni est employé directement, sous sa forme pehlvie, comme désignation d’Alexandre.

Il suit de là que notre texte est postérieur à la mort d’Alexandre, et plus exactement à la chute de la domination grecque ; car cette domination a survécu dans l’Iran de près de deux siècles à son fondateur et ce n’est que vers l’an 140, après les victoires de Mithridate le Grand, le véritable fondateur de l’empire arsacide, que l’Iran a été définitivement affranchi des Grecs. Mais si notre texte, comme il semble assez probable, a en vue, non pas seulement la chute des Grecs, mais aussi la restauration de la religion, il faudra descendre bien plus bas encore que l’an 140. Le triomphe des Arsacides ne fut pas le triomphe immédiat du Zoroastrisme, et l’hellénisme resta à la mode bien longtemps après la chute du joug hellénique. La renaissance zoroastrienne semble avoir été inaugurée dans le premier siècle de notre ère par l’Arsacide contemporain de Néron, Volo-

  1. 5. Srôsh Yasht, 6. En traduisant Keresa « l’impie » ou « l’idolâtre », on ne serait pas loin sans doute du sens qui y était attaché. Au moyen âge le mot Kilisyâk désignait les chrétiens (Tarsâkadinî ; N.) : l’assonance de Christos et de Keresàni a pu y contribuer : mais l’identification de Keresàni avec Alexandre le Rûmî y conduisait directement, les Rûmîs du moyen âge étant chrétiens.