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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

c’est une création de la théologie, qui a sa racine, non dans la langue populaire, mais dans le livre : Khshathra vairya n’existe que par les Gâthas : il fallait donc que les Gâthas fussent déjà existantes pour que Shahrêvar naquît. Or Shahrêvar ne s’est trouvé jusqu’à présent que sur les monnaies de Huvishka[1], c’est-à-dire de l’an 110 à l’an 130 environ : d’où il suit que les Gâthas ont dû être composées avant l’an 110 de notre ère. Leur date se place donc d’une façon générale dans le ier siècle avant ou après le Christ. Si l’on admet que la conception de Vohu Manô est sortie de l’école de Philon, le ier siècle avant le Christ sera hors de cause et leur date se placera dans le ier siècle de notre ère. C’est précisément le siècle qui a vu Vologèse et la première tentative de faire un Avesta[2], et l’on pourrait voir dans la composition des Gâthas le premier produit de cette tentative[3]. Les Gâthas auraient donc été composées entre l’an 34 et l’an 78 de notre ère, soit dans le troisième tiers du ier siècle.

  1. C’est le seul Amshaspand que l’on ait encore trouvé sur les monnaies indo-scythiques : cette exception s’explique aisément si l’on se reporte à son caractère, qui le rendait plus intéressant que les autres pour des peuples peu spéculatifs : c’est l’Amshaspand de la royauté guerrière, armée pour réprimer le mal, et les monnaies le représentent en Arès, portant le casque grec et l’armure, et s’appuyant d’une main sur la lance et de l’autre sur le bouclier (Percy Gardner, Coins of the Greek and Scythic kings, etc., pl. XXVIII, 17 ; cf. nos 18-19). Son absence sur les monnaies de Kanishka concorde bien avec la chronologie littéraire : si les Gâthas n’ont été composées que vers l’an 70, on ne peut s’attendre à trouver immédiatement leur action imprimée sur les monnaies indo-scythes. Les divinités zoroastriennes de Kanishka sont les divinités du Zoroastrisme ancien, Athro, le Feu ; Mao, la Lune ; Miiro, Mithra ; Oado, le Vent ; ou des divinités nouvelles, mais d’un caractère encore naturaliste : Orlagno, Verethraghna ; Farro, la Gloire royale ; et Arooaspo ou Drooaspo (vol. II, 432).
  2. Voir p. xxiii-xxiv.
  3. La tradition a conservé et consacré les noms de quatre docteurs de cette époque qui auraient relevé la religion : Erezva et Srûta-Spâd, Zrayah et Speñtô-Khratu (Yt. XIII, 115, note 235). Ce serait se lancer dans le roman que de leur attribuer la composition des Gâthas. Mais on pourrait soupçonner dans la série à laquelle ils appartiennent une liste de saints de l’époque qui a vu naître le Néo-Zoroastrisme et les Gâthas.