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la saga d’élie

corps de danger et de peine. Mais toutes leurs prières lui aident si peu que le même jour, avant que vêpres soient finies, il lui arrivera si grand déconfort et si grande pesance que, si Dieu n’a pitié de lui, il n’en sortira pas vivant. Quand le poteau fut dressé et bien assujetti et que tout le peuple de la ville fut rangé alentour, il y eut plus de cent chevaliers, notables et hommes principaux de la ville de Saint-Gilles, qui, par amour pour Élie, voulurent s’armer et faire caracoler leurs chevaux dans la prairie avec des jeux et des plaisanteries. Mais le duc Julien qui était le plus en avant de la troupe s’écria à haute voix : « Dieu vous garde, bons seigneurs ! sortez du chemin et tenez-vous tranquilles, tandis que ce jeune homme joute et éprouve sa valeur. Ainsi nous pourrons voir ce qu’il se montrera dans une grande entreprise, car les petites choses préjugent les grandes. » Les seigneurs de la suite de Julien allèrent tout de suite en un lieu et là prirent position comme le duc l’avait dit. Le jeune homme commença à entrer en colère, il mit sa lance en arrêt et poussa de l’éperon son cheval, aussi vite qu’il pouvait courir sous lui et, quand il eut cessé d’éperonner le cheval, il releva sa lance et fit flotter son étendard au vent. Il prit alors un peu de repos ; puis, poussant le cheval[1], il s’élança contre le poteau et transperça de la lance les deux écus et la double brogne avec une telle force que le poteau se brisa en deux et tomba tout entier par terre. Quand le duc Julien vit le grand coup qu’avait frappé son fils Élie, il rit et appela Élie à haute voix[2] : « Mon fils, » dit-il, « tu es un brave ! Tu resteras auprès de moi, et tu serviras mes entreprises à l’avenir. »

(V)

Sire[3] Julien était très joyeux, et sa joie était grande de son fils. Quand il vit le poteau brisé et gisant à terre, il

  1. B D ajoutent : avec les éperons.
  2. B D ajoutent : et dit.
  3. C D Le duc.