Page:Anonyme - Eugène Fromentin, 1905.djvu/39

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à cet égard, que le début de son livre : Une année dans le Sahel, cette lettre écrite en octobre 1852, de Mustapha d’Alger, où il venait d’arriver avec sa jeune femme !

« Cette lettre, mon ami, ne partira pas seule, je viens à ce moment même de t’envoyer un messager ; c’est un oiseau que j’ai recueilli en route et que j’ai ramené jusqu’ici, comme un compagnon, le seul à bord dont l’intimité me fut agréable et qui fut discret. Peut-être oubliera-t-il que je l’ai sauvé du naufrage pour se souvenir seulement d’avoir été mon prisonnier ! Il est entré dans ma cabine hier au soir, à la tombée de la nuit, par le hublot que j’avais ouvert pendant une courte embellie. Il était à demi-mort de fatigue ; de lui-même il vint se réfugier dans ma main, tant il avait peur de cette vaste mer sans limites et sans point d’appui. Je l’ai nourri comme j’ai pu, de pain qu’il n’aimait guère et de mouches auxquelles toute la nuit j’ai donné la chasse. C’est un rouge-gorge, de tous les oiseaux peut-être le plus familier, le plus humble, le plus intéressant par sa faiblesse, son vol court et ses goûts sédentaires. Où donc allait-il dans cette saison ? Il retournait en France ; il en venait peut-être ? Sans doute, il avait son but, comme j’ai le mien.

« Connais-tu, lui ai-je dit, avant de le rendre à sa destinée, avant de le remettre au vent qui