Page:Anonyme - Huon de Bordeaux, chanson de geste.djvu/104

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Sommaire.

navire. Huon n’ose se fier au merveilleux haubert qu’il vient de conquérir. Il invoque la Vierge, s’assied sur le rivage et se répand en larmes. Pendant qu’il demeure ainsi abîmé dans sa douleur, il voit arriver vers lui, de la pleine mer, une bête qui nage plus vite qu’un saumon : c’est un lutin qui, en touchant le rivage, se secoue, se dépouille de sa peau, et en sort sous la forme du plus bel homme qui se puisse voir. Huon, tout effrayé, dit doucement au lutin : « Ami, de quel pays es-tu ? Es-tu de la race de Pilate ou de Néron, toi que je viens de voir nager si vite sous la forme d’un lutin, et qui m’apparais maintenant sous des traits si beaux ? Ne me fais point de mal, au nom de Dieu. » Et le lutin répond : « Je sais bien qu’on t’appelle Huon, et que tu es le fils du duc Séguin. Sois sans crainte, noble fils de baron ; je ne te veux que du bien. Je suis envoyé vers toi par un roi de grand renom, par le roi Oberon. » — Huon veut savoir le nom du lutin. — « Je me nomme Malabron, répond-il, je suis de la maison du roi Oberon et l’un de ses hommes liges. Mon seigneur a voulu que je fusse trente ans lutin de mer. — Ami, m’oserai-je fier à toi ? demande Huon. — Sois sans crainte, dit le lutin, je te porterai au delà de la mer Rouge, de telle façon que tu ne mouilleras ni chausses ni souliers. Apprête-toi à partir, car je vais entrer dans ma peau de lutin ; tu monteras sur ma croupe, et tu te signeras bien pour que le vrai Dieu nous conduise à bon port. » — À ces mots, Malabron entre dans sa peau, prend Huon sur son dos, et se jette à la nage. Il n’est varlet ni jeune bachelier qui pût faire une demi-lieue dans le temps que Malabron mit à passer la mer. Il dépose Huon sur l’autre rive, et lui dit : « Huon, tu n’es pas né sous une heureuse