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LA GOÉLETTE MYSTÉRIEUSE
ou
LES PROUESSES D’UN POLICIER DE SEIZE ANS


CHAPITRE I

UNe PISTE


— Te voilà enfin, Joe, te voilà mauvais garnement. Tu peux te vanter de m’avoir fait poser. On voit bien que le temps ne te coûte rien. La peste soit des flâneurs et des gamins qui ne sont jamais à leur affaire !

L’individu qui grommelait ainsi était un homme entre deux âges, aux traits déjà ridés, à la face rubiconde, avec des cheveux crépus et une barbe noire légèrement grisonnante. Tout en recevant son interlocuteur avec cette avalanche de reproches, il le regardait d’un œil complaisant et presque admiratif, et il était facile de reconnaître à première vue que ce bourru n’était pas sans ressentir à l’égard de son jeune compagnon quelque faiblesse de cœur.

Ce dernier était un garçon d’environ seize ans, court et bien bâti, dont la figure imberbe semblait dénoter un degré de réflexion très supérieur à son âge. Joe ne pouvait avoir aucune prétention à la beaute physique, mais il portait sur ses traits l’astuce et l’effronterie délurée d’un vrai gamin des rues. Son costume était un étrange assemblage de pièces de costume dépareillées, dont chacune avait évidemment passé par plusieurs mains et subi maint accroc ou mainte aventure. Son paletot qui avait été fait pour une personne d’environ deux fois sa taille, lui tombait à peu près jusqu’aux talons ; et il portait un vieux chapeau mou campé fièrement sur son oreille, ni plus ni moins que s’il se fut agi d’une coiffure de luxe.

Gédéon Lafortune, — c’était le nom de celui qui venait d’interpeller le gamin, — tira de sa poche une pipe d’écume de mer, la bourra avec soin, et après l’avoir allumée il en tira deux ou trois bouffées qu’il chassa lentement devant lui.