Page:Anonyme - Les Aventures de Til Ulespiegle.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
62
LES AVENTURES DE TIL ULESPIÈGLE

fous dans une maison, cela fait rarement du bon. Le fou du roi ne pouvait souffrir Ulespiègle, et celui-ci ne voulait pas se laisser mettre à l’écart. Le roi s’en aperçut, et il les fit venir tous deux dans la salle, et leur dit : « Eh bien, celui de vous deux qui fera le plus étrange tour, que l’autre ne pourra faire, je l’habillerai de neuf et lui donnerai vingt florins par dessus le marché ; faites la chose tout de suite et en ma présence. » Alors ils se mirent tous les deux à faire des folies et des singeries, avec d’horribles grimaces et d’étranges discours, chacun faisant du pis qu’il pouvait. Et ce que faisait le fou du roi, Ulespiègle l’imitait. Le roi riait, ainsi que ses courtisans ; ils virent bien des drôleries, et ils se demandaient lequel des deux gagnerait l’habit et les vingt florins. Ulespiègle pensa aussi que vingt florins et un habit neuf étaient une bonne chose, et il se dit qu’il ferait pour cela ce qu’il n’eût pas fait volontiers autrement. Il voyait bien ce qu’en pensait le roi, et qu’il s’inquiétait peu que ce fût l’un ou l’autre qui gagnât le prix. Alors il s’avança au milieu de la salle, abaissa son haut de chausses et fit un gros tas d’ordure. Puis il prit une cuiller et partagea en deux ce qu’il venait de faire. Ensuite il appela le fou et lui dit : « Viens ici, et avale comme moi la moitié de cette friandise. Je commence. » Ce disant, il prit sa moitié de l’objet dans la cuiller et l’avala ; puis il offrit la cuiller au fou et lui dit : « Tiens, mange la moitié qui te revient. Puis tu feras aussi un tas et tu le partageras par moitié. Tu en mangeras ta part et moi la mienne.