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les langues et les nationalités au canada

À l’autre extrémité de la France, dans la Provence, on peut constater un phénomène à peu près semblable. La langue d’oc, après avoir jeté un brillant éclat, à la fin du XVe et pendant les premières années du XVIe siècle, alors que la langue d’oïl était encore en pleine formation, avait fini par se faire complètement éclipser par celle-ci. L’éclat jeté par la littérature française au XVIIe siècle, joint à l’attirance de la cour de Versailles, fit que l’aristocratie du Midi dédaigna de plus en plus la langue d’oc, pour ne plus se servir que de la langue d’oïl, devenue la langue de la haute société dans toute la France. Si bien qu’à la fin du XVIIIe siècle, la langue d’oc, surnommée dédaigneusement provençal, n’était plus parlée que par le peuple des campagnes et les pauvres habitants des banlieues des villes du Midi.

Or, l’ostracisme dont le gouvernement a voulu frapper la langue provençale, en l’excluant de l’administration et de l’école, a eu, là aussi, pour résultat de réveiller la classe dirigeante du Midi. On s’est remis à étudier la langue d’oc et à l’écrire. Et la littérature provençale, comme la littérature bretonne, a repris vie dans les persécutions de l’administration française.

Leur amour pour leur langue maternelle n’empêche d’ailleurs ni les Basques, ni les Bretons, ni les Provençaux d’apprendre le français ; et ce ne sont pas les écrivains bilingues qui font plus mauvaise figure dans les lettres françaises ; témoin : Daudet, Brizeux, LeGoffic, etc. Leur bilinguisme ne les empêche point non plus d’aimer la France, et leur patriotisme égale au moins celui de certaines contrées du centre de la France, tristement renommées pour leur fécondité en antipatriotes et en sans-patrie.

Néanmoins, la prétention de Combes d’interdire l’usage de la langue bretonne eut pour résultat de faire beaucoup de Bretons remettre en question le traité par lequel la Bretagne avait été réunie à la France, à la fin du XVe siècle. De fait, ce traité est bien un traité d’union et non d’annexion ; mais, depuis de longues années, personne n’y avait plus pensé. Preuve que le moyen le plus sûr de produire la désunion nationale, c’est de chercher à établir l’unité de langage.