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lxiv
introduction

nables développements auxquels se complaisent, surtout depuis le xiiie siècle les auteurs et les renouveleurs de chansons de geste. Il a dû respecter en général la concision de son original, et là où nous nous trouvons en présence d’une scène ou d’un tableau tracés avec énergie, il nous est permis de croire que nous avons sous les yeux l’ancien poème même, sauf les modifications causées par l’introduction de la rime. Le récit de l’attaque et l’incendie d’Origni (tirades lxviii et suiv.) est, malgré quelques faiblesses de style, un des beaux morceaux de notre vieille poésie épique ; on peut citer encore les brèves tirades dans lesquelles le bâtard Bernier raconte comment sa mère Marsent fut enlevée par Ybert de Ribemont, qui ne daigna pas l’épouser « et, quand il voulut, reprit une autre femme » (v. 1692) ; comment, refusant alors l’époux que lui offrait son ravisseur, elle prit le meilleur parti et se fit nonne. Il y a, dans ces quelques vers, un sentiment de mélancolie exprimé avec une touchante simplicité. Çà et là, sur le fond un peu terne de la narration, se détachent des traits singulièrement expressifs, comme en cet endroit où le poète, décrivant une nombreuse troupe de cavalerie en marche, nous dit que les barons chevauchaient si serrés qu’un gant jeté sur les heaumes ne serait pas tombé à terre d’une grande lieue, les chevaux se suivant la tête de l’un posée sur la croupe de l’autre[1]. Toute la poésie de la vieille chanson n’a pas été éteinte par les remaniements successifs qu’elle a subis.

Examinons maintenant la versification, ou plutôt un des éléments de la versification, la rime, les autres éléments n’offrant ici rien de particulièrement notable. Le

  1. Fin de la tirade cxix.