Page:Anonyme - Relation du naufrage que le navire le Courageux, 1774.djvu/4

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Nous arrivâmes le 4 Avril au Buiſſon, une des Iſles de Biſago, la plus voiſine de la grande terre, cette Iſle appartient aux Portugais : j’obtins du Gouverneur la permiſſion de faire paſſer mon équipage à Séralium, dans l’eſpoir d’y trouver un Navire pour paſſer en Europe. Ces quinze hommes s’embarquèrent le 15 Avril à bord d’une petite barque qui faiſoit voile pour la rivière de Séralium où ils arrivèrent heureuſement ; un navire Anglois a dû les conduire à Saint-Domingue, & depuis notre ſéparation j’ignore leur deſtinée.

Pour moi, je m’embarquai dans une barque Portugaiſe pour aller joindre mon équipage ; mais je me trouvois ſi débile, & ſi exténué, que le Patron croyant ma mort aſſurée, en ne m’exprimant que par ſignes, m’abandonna à terre aux Iſles de l’Oſte ou Iſles perdues ; mes ſupplications ne purent toucher ſon cœur impitoyable.

Un heureux haſard fit aborder un canot Anglois, qui venoit pour traiter du riz dans cette Iſle ; le Capitaine étonné de trouver un Européen ſur cette côte ſ’attendrit ſur ma deſtinée, il daigna me recevoir ſur ſon bord, où je reſtai juſqu’au 3 Mai, jour où je vis aborder un petit bâtiment Français, venant du Pont-en-Digue ; il avoit dérivé & ne ſachant alors où il étoit, il ſe félicita de trouver en moi le ſeul homme qui pût lui fournir des inſtructions.

Ce petit bâtiment étoit aux ordres de M. l’Abbé Demanet, que des perſonnes de la première diſtinction avoient chargé de cette opération. Le Patron qui étoit un Provençal, n’étoit pas aſſez inſtruit pour regagner Gorée, & ce fut moi qui le tirai d’embarras : nous y arrivâmes ſans avoir eſſuyé aucune perte, M. Boniface, Commandant de Gorée me fit embarquer ſur la corvette du Roi l’Afrique, en qualité de ſecond Capitaine.

Après tant de traverſes, je ne demande que les moyens d’aller délivrer mon Frere & mes Compagnons. Je cherche des Protecteurs qui veuillent bien me ſeconder dans cette entrepriſe, pour arracher ces ſept innocentes victimes à une mort qui ſe préſente ſans ceſſe à leurs yeux.


Ce ſouhait a été rempli. Le Roi, la Reine, reſpectés, chéris dès-lors ſous un autre titre, ſe ſont empreſſés de contribuer, par des ſecours pécuniaires, à leur délivrance. Un célèbre Négociant de la Rochelle, nommé M. de Nairac, conſtitué par M. de la Touche-Tréville, Capitaine de Vaiſſeaux, Agent de leur bienfaiſance, a dignement répondu à un choix ſi honorable. Il a équipé à ſes frais deux bâtimens, qui ont réuſſi à ramener en France quatre de ces captifs : les trois autres étoient morts.


AVEC PERMISSION.