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Les aventures

& c’est pour cela que je n’en faisois croître qu’autant que j’en avois besoin. Je pouvois avoir des tortues à discrétion ; mais il me suffisoit d’en prendre une de tems en tems, pour fournir abondamment à mon nécessaire. J’avois assez de merrein pour construire une flotte entière ; & quand ma flotte auroit été bâtie, j’aurois pu faire d’assez copieuses vendanges pour la charger de vin, & de raisins secs : mais les choses dont je pouvois faire usage, étoient les seules qui eussent de la valeur chez moi. Il ne me manquoit rien de tout ce qui étoit nécessaire pour ma nourriture & pour mon entretien : eh ! de quoi m’auroit servi le surplus ? Si j’eusse tué plus de viande que je n’en pouvois manger, il l’auroit fallu abandonner au chien ou aux vers. Si j’eusse semé plus de bled que je n’en pouvois consommer, il se seroit gâté. Les arbres que j’avois abattus restoient épars sur la terre pour y pourrir ; car je n’avois besoin de feu que pour faire ma cuisine.

En un mot, la nature des choses, & l’expérience même, me convainquirent, après de justes réflexions, qu’en ce monde-ci les choses ne sont bonnes par rapport à nous, que suivant l’usage que nous en faisons, & que nous n’en jouissons qu’autant que nous nous en servons, à la réserve néanmoins de ce que l’on peut amasser en tems