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Les aventures

des gestes une affliction & un désespoir qui alloient jusqu’à l’extravagance ; les deux autres levoient quelquefois les mains vers le ciel, & paroissoient être fort affligés, mais leur douleur me sembloit pourtant plus modérée.

Dans le tems que j’étois dans une grande incertitude, sans concevoir ce que signifioit un pareil spectacle, Vendredi s’écria de son mauvais anglois : O maître, vous voyez hommes anglois manger prisonniers aussi-bien qu’hommes sauvages : voyez eux les vouloir manger. Non, non, dis-je, Vendredi : je crains seulement qu’ils ne les massacrent, mais soit sûr qu’ils ne les mangeront pas. Je tremblois cependant à l’horreur de cette vue, à chaque moment je m’attendois à les voir assassiner ; même je vis une fois une de ces scélérats lever déjà un grand sabre pour frapper un des ces malheureux, & je crus que je l’allois voir tomber à terre ; ce qui glaça tout mon sang dans mes veines.

Dans ces circonstances je regrettois extrêmement mon espagnol & mon vieux sauvage, & je souhaitois fort de pouvoir attraper ces indignes anglois sans être découvert, à la portée du fusil, pour délivrer les prisonniers de leurs cruelles mains ; car je ne leur vis point d’armes à feu : mais il plut à la providence de me faire réussir dans mon dessein d’une autre manière.