Aller au contenu

Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1905-06.pdf/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 134 —

bouche ardente leur valeur intégrale, leur impressionnante majesté de vérités sublimes, de lois immuables. Autour du savant, le salon bourgeois se taisait, gêné d’une émotion obscure Charlotte se souvenait de ce silence.

« Lui !… lui… et puis Tolstoï. Tant qu’il y aura sur la terre de tels hommes, comment désespérer ? » songea-t-elle. Car il y avait aussi les moments sombres où l’universelle injustice la bouleversait d’horreur et de dégoût.

Puis elle réfléchit avec épouvante que Tolstoï était vieux, qu’il mourrait. Cette idée la traversa comme un cataclysme. Elle la repoussa, voulant être gaie et contente.

« Et puis, n’y a-t-il pas son œuvre ! »

Elle voulut reprendre sa lecture, mais il faisait trop noir. Elle resta immobile, engourdie de douceur, ne songeant plus à rien qu’aux deux mains de Madame Abel toutes brillantes de joyaux.

Une horloge battait fort, dans la chambre voisine. La nuit descendait précipitamment, commençait à boucher la fenêtre.


Un coup de sonnette, un pas dans le vestibule : c’était Madeleine.

Charlotte se leva vivement, marcha au-devant de son amie. Elle se sentait confuse, embarras-