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Page:Antée, revue mensuelle de littérature, 1905-06.pdf/145

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avec son caban noir usé entraînant ses faibles épaules, sa toque de faux astrakan, ses gros gants.

Ô chère petite Madeleine, délicate et vaillante ! Charlotte se sentait l’adorer.

« Aimer pour vivre, se dit-elle en songeant à Tolstoi. Mon Dieu ! c’est si facile. Mais qui peut ne pas aimer ?… Détruire l’indifférence, la haine… Quand on aura banni la haine, quand les hommes s’aimeront entièrement, ce sera le bonheur parfait d’un bout à l’autre de l’Univers… Enseigner ce bonheur aux hommes, voilà le but !… Oui, mais comment faire ? »

Les idées bondissaient en elle, sonores et braves, si fortes, semblait-il, que rien ne pourrait les abattre. Elle ferma les yeux, retroussa son menton de ses mains fortement serrées. Et elle s’abîma dans la contemplation d’une humanité idéale, d’un peuple brave et beau comme un dieu guerrier. Elle avait entendu Élisée Reclus parler dans ce sens, à une soirée chez Ninie Air. Il racontait des choses de la Commune, qu’il avait vues, où il s’était trouvé mêlé. Et il s’enthousiasmait. Sa voix chaude et fervente évoquait une ivresse de fête, d’admirables cris, la foule élancée à l’assaut du Droit et de la Justice… Justice, Humanité, Bonheur, les mots usés, banalisés, retrouvaient dans cette