Page:Anthologie contemporaine, Première série, 1887.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le feu, et, regardant autour de lui, avec l’assurance des nouveaux riches :

— Il fait pauvre ici, camarades… Mais Hein est en joie ! Hein a le sac ! Versez l’huile dans votre lampe afin qu’il vous voie bien en face.

Balt fit de la tête un signe négatif, en haussant les épaules. Le garçon meunier ne s’en aperçut pas, perdu qu’il était dans les gloires. Et il leur raconta qu’il s’était attardé, qu’ayant vu de la lumière à leurs volets, il avait été bien aise de se sécher un peu chez eux. Il montrait de l’inquiétude pour ses habits surtout, et à chaque instant tâtait le fond de sa poche, palpant quelque chose. Puis il leur avoua tout.

— Eh bien, oui, j’ai gagné 20,000 francs à l’État ; j’avais une action de cent francs… Ils sont là, dans ma poche… Je sais bien à qui je le dis ; mais vous, silence !… Pas un mot… On n’aurait qu’à me les voler !

Il éclata de rire.

— Voler Hein ? Ach ! ach ! le garçon a pris son gendarme avec lui.

Et tout large, il ouvrit un énorme couteau qu’il planta dans la table.

Les deux Baraque s’étaient rapprochés.

Un homme porteur d’une pareille somme prenait un intérêt inattendu à leurs yeux. Bast fit un mouvement machinal de la tête comme pour voir dans la poche du cousin. Tous deux se taisaient ; Bast souriait, et Balt regardait devant lui, profondément, voyant venir à lui une idée.

— Allons Hein, dit-il, buvons ensemble un coup, puisqu’il en est ainsi.

Une bouteille de genièvre traînait sur l’armoire, demi-pleine et déjà vieille. Il prit la bouteille, emplit trois verres, puis recommença ; et Bast accumula du bois dans l’âtre, fit un grand feu, ranima la lampe, étourdi, ses mains travaillant sous lui comme celles d’un autre entré en sa peau.

Le garçon meunier, excité, devint loquace, dit ses projets, parla de reprendre un moulin pour son compte, nargua ensuite les Baraque de leur crasserie.

— C’est bon pour vous, vieux grigous, de remplir de gros sous vos paillasses. Moi, je veux me marier, et alors gare la danse !

— Heu ! fit Bast, les yeux baissés, vous êtes jeune, vous !