Page:Anthologie contemporaine, Première série, 1887.djvu/35

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— Dis donc, Guillemin, tu n’aurais pas une pipe de tabac ?

— Si… attrape…

— En te remerciant, ma vieille.

Et il ajouta :

— Je crois que le bon Dieu va encore nous plumer des pigeons.

On s’engagea dans l’escalier. La concierge précédait les quatre hommes, et tout en grimpant, déjà essoufflée au bout de quelques marches, les mains sur les cuisses, elle trouvait le moyen de jaboter :

— Cette pauvre Francine !… vingt ans à peine… Ah ! elle n’a pas traîné longtemps… J’en suis encore sens dessus dessous… Je la vois toujours comme quand elle est arrivée de son pays. Une vraie fleur ! Elle voulait entrer en place chez des bourgeois ; malheureusement, elle ne savait pas… cuisiner… À Paris, la cuisine c’est tout… Alors, n’est-ce pas ? elle a fait des ménages… ça lui aidait à vivre… Il n’en manque pas dans la maison qui gagnent de l’argent avec leur je-ne-sais-quoi… Elle aurait pu faire comme celles-là… mieux même… mais ça n’entrait pas dans son idée… Sage, l’enfant ! aussi sage qu’une image ; jamais plus d’un homme à la fois… Ne faut-il pas que les jeunes gens s’amusent ?… Vrai de vrai, une bonne fille, allez !… courageuse… Toutes mes commissions, c’est Francine qui me les faisait… Il y a cinq mois, j’avais pincé un chaud et froid dans le ventre ; eh bien, trois fois par jour, elle descendait me frictionner… Et ça ne l’empêchait pas de trouver du temps pour l’artiste du sixième qui faisait ses portraits avec elle… Un beau jour, ils ont couché ensemble… J’aurais voulu que ça dure, mais ils ne se sont pas arrangés… La voilà morte à cette heure !… L’avant-dernière nuit, M. Vigneron, son voisin… a entendu comme un gargouillement… Il dormait à moitié… C’est lui qui m’a dit la chose, pas plus tard qu’hier… Ouf !… nous y sommes… Un sacré exercice pour mes pauvres jambes !