Page:Anthologie contemporaine, Première série, 1887.djvu/197

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— Ma foi, tu en feras ce que tu voudras : je te laisse libre, tu sais bien.

Elle serre sa main dans la sienne, pousse un petit soupir et se dirige du côté de la porte, en le regardant par-dessus son épaule.

— Adieu ! dit-elle.

Et la porte se referme sur elle.

— N’y pensons pas, se dit le mari.

Il s’allonge sur un sofa, attire à lui un livre et se met à lire. Au bout d’un instant, il l’abandonne : sa pensée est ailleurs, il songe à sa femme.

— Pendant un temps, nous nous sommes aimés ; son bonheur était de demeurer près de moi, le mien de vivre auprès d’elle… Quelle folles journées ! Le parfum de ses robes me faisait délirer alors… À présent…

Il ouvre la fenêtre, fait deux fois le tour de l’appartement, puis s’arrêtant, les yeux perdus dans le vide :

— À présent, c’est fini.

Il prend un cigare, l’allume et s’endort.

Il est réveillé par une voix claire, joyeuse, qui lui dit :

— On ne ferme donc plus ses portes ? J’ai sonné : personne n’est venu, et trouvant tout ouvert, je suis entrée.

— Et vous avez bien fait, chère amie.

Il la prend par la main et la conduit à un fauteuil qui est près du sofa.

C’est Mme de Marbois.

— J’ai à vous gronder, lui dit-elle : il paraît que vous séquestrez absolument cette pauvre Lucile : on ne la voit plus.

— Vraiment ? Et moi qui me plaignais que vous l’accapariez !

— Par exemple !

— Tenez, ce soir encore… Il est neuf heures ! Voilà trois heures qu’elle est à vous attendre chez vous.

— Trois heures ! Ne dites pas cela : je sors de chez moi à l’instant. Mais si vous m’assurez qu’elle m’attend, je me sauve.

— Elle ne vous attend pas, soyez sans inquiétude… C’est pur badinage… Vous allez prendre le thé avec moi.