Aller au contenu

Page:Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu'au milieu du XIXe siècle.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

je ne sais que rouler mes épaules, faire claquer ma langue et me taire…

Cependant écoutez bien ! J’y habitai longtemps, je m’y amusais beaucoup et pourtant je m’ennuyais — est-ce croyable ? Quelquefois je m’ennuyais plus que je ne m’amusais. Souvent, en hiver, il fait des tourmentes de neige — Dieu puissant, quels tourbillons ! Le ciel et la terre disparaissent ! Ça vous plaque de la glace sur les vitres, une digue de neige barre la porte et, le voudriez vous, il est impossible de sortir. Cela dure trois ou quatre jours et, ensuite, quoique la tourmente soit passée, vous avez peu de raisons de vous en réjouir : tous les chemins de la steppe sont ensevelis sous la neige, impossible d’aller soit à pied, soit à cheval ; il n’y a qu’à rester chez vous, dormir et manger, rien d’autre à faire. Comme on serait heureux, grand Dieu, si quelqu’un pouvait venir vous voir ! Mais, hélas, personne ne sort, à moins que l’on ne soit fatigué de la vie, ou que l’on n’ait rien à se mettre sous la dent. Tout à coup voilà les chiens qui se mettent à aboyer comme s’ils voyaient un loup. Je souffle sur le carreau pour faire fondre la glace. Je regarde à travers et aperçois un traîneau recouvert d’une bâche qui pénètre dans la cour. Un gros cheval suffit à peine à le traîner sur la neige et, au fond, sous la bâche est assis un Moscovite. Sa barbe est toute couverte de neige ainsi que sa crinière et, pourtant, son cou reste à découvert. Rien qu’à le voir les chiens crèvent de rage. Qu’est-ce qu’il a donc ce bonhomme à rôder par un temps pareil ; pour sûr qu’il n’a pas de domicile ! « Dis donc, mon garçon, fais entrer le Moscovite. Il semble que ce soit un marchand. »

Le voilà : il entre, secoue sa crinière, fait un signe de croix et demande : « Voulez-vous m’acheter quelque chose ? » — « Voyons, qu’est-ce que tu as ? » Et le voilà qui me tend un bout de papier rempli d’écriture en pure langue moscovite, de sorte que nous autres, pauvres gens, il y a beaucoup de choses que nous ne pouvons comprendre. Il n’y a rien qui ne se trouvât dans cette satanée voiture. Je me tue à lire et à deviner, quand je vois : « Livres de Moscou. » — « Eh bien ! lui dis-je, voyons cela ! » Alors il apporte une caisse remplie de livres, des grands et des petits, des jaunes et des rouges. Il n’y a qu’à choisir. En échange de quelque cinq roubles payés comptant, d’environ deux mesures d’avoine, de pain, de beurre, de miel et de

88