Page:Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu'au milieu du XIXe siècle.djvu/117

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quelques autres choses encore, le moscovite vous cède une demi-douzaine de livres.

Plus d’une fois lorsque la nuit tombait et que je commençais à m’ennuyer, je prenais un de ces livres et je lisais une page — non, ça ne va pas ! encore une — encore pire, à la troisième la tête commençait à me tourner : impossible d’en comprendre la moindre bribe. C’est vraiment quelque chose de bien bizarre : on commence, par exemple, à y parler de l’atmosphère, puis des planètes, ensuite on en vient à parler d’une alêne de cordonnier ou d’un clou. Je me creuse la tête pour comprendre, j’essaie d’y parvenir soit comme-ci, soit comme-ça — hélas ! C’est en vain. J’en prends un autre, c’est la même chose, le troisième, le quatrième, le cinquième — encore et toujours la même chose ! Et pourtant je croyais savoir la langue moscovite : il m’est arrivé plus d’une fois de parler à des marchands, à des ramasseurs de soies de cochon, à des accapareurs de bétail. Eh bien ! on marchandait, on comptait bien l’argent, on se comprenait, quoi ! Et voilà que je me mets à lire un livre — plus moyen de comprendre. Quelquefois je faisais venir Diomède — il sait bien lire — Koutse aussi. Je leur lisais une ou deux pages. « Eh bien ! les gars, avez-vous compris ? » — « Non, monsieur, pas un seul mot ! » Et pourtant ils ont passé toute leur jeunesse dans les foires[1]. Rien à faire. Je pose sur l’étagère mes nouveaux livres — qu’ils y dorment jusqu’à ce que je sois devenu plus savant. Et je me plonge, pour la cent cinquantième fois, dans la lecture de « L’Énéide » de Kotlarevsky, ou des nouvelles de Grégoire Osnovianenko, Je lis, je ris et je pleure.

Je me suis rappelé tout cela ces jours derniers, je crois que c’était avant-hier et je me suis mis à réfléchir. Heureusement, pensai-je, que mon sort m’a jeté dans la capitale, où j’ai si peu le temps de m’ennuyer que souvent j’ignore si c’est aujourd’hui mercredi ou vendredi, jour ouvrable ou jour férié : on tourne comme la roue du moulin, qui ne tourne pas d’elle-même, mais que l’eau fait tourner. Et mes compatriotes, que font-ils pendant ces longues veillées d’hiver ? Faisons-leur un livre. J’ai rassemblée ce qui avait été écrit dans notre langue, par moi et par d’autres, qui — je les en remercie — me l’avaient envoyé, je l’ai porté à l’imprimerie — et voilà un livre pour vous.

  1. Les foires sont très suivies par les marchands moscovites et par conséquent on y trouve l’occasion d’apprendre le russe.
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