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tion, le tour tout entier de la langue, son véritable esprit. C’est pourquoi nous devons écrire tout à fait comme parle le peuple, ainsi que l’ont fait nos frères les Slovaques et ceux de Lusace, qui, ne pouvant s’appuyer sur les anciens monuments de leur langue, ont créé une nouvelle orthographe et élevé le parler vivant du peuple au rang de langue littéraire, en le complétant de mots empruntés aux autres langues slaves. Mais… sommes-nous pauvres aussi en monuments de notre langue ? La prédominance d’une langue étrangère nous a-t-elle opprimé si longtemps qu’elle ait empêché le développement de la langue nationale ? Non, frères. Nous devons voir plus avant, jusqu’au fond même. C’est pourquoi je t’adresse, Ruthène, les grandes paroles de la sagesse populaire : connais-toi, toi-même, et cela te suffira… Nous sommes les plus riches d’entre les Slaves en monuments littéraires et cela dès l’époque où l’on n’écrivait en Europe qu’en trois langues ; en grec, en latin et en slavon. Étudions ces chers monuments, lisons-les bien, plongeons notre âme dans les profondeurs de l’esprit et de la vie russes ; nous y trouverons un trésor inépuisable. Ne négligeons pas le vieux slavon rituel. Cette langue ne nous a pas été arbitrairement imposée ; nous l’avons adoptée spontanément de nos frères et voisins d’autrefois, cette langue qui ne nous est point étrangère, mais toute fraternelle et proche de nous ; ce n’est pas la langue du glaive, de la violence, mais celle de l’amour fraternel, la langue de la foi et de la vérité divine. Ainsi donc ils nous appartiennent bien ces monuments, puisqu’ils ont été écrits en Russie : ce sont des Ruthènes qui les ont écrits, des Ruthènes, qui, dès l’âge le plus tendre pensaient et parlaient en russe, qui habitaient la Russie et étaient tout pénétrés de la vie russe. En dépit des formes slavonnes que présentent les monuments de cette époque, ils contiennent, vous dis-je, en réalité plus de véritable esprit russe, qu’il n’y en a dans la plupart de nos écrivains actuels, qui pensent en allemand ou en latin et traduisent leurs pensées en russe, leur donnant une forme verbale russe.

C’est pourquoi je vous le dis : il faut que nous prenions en considération tout ce qui a été écrit en Russie, que nous l’examinions, l’étudions, l’éprouvions, nous devons en sucer la moelle, en extraire tout ce qui est à nous, proche de nous, tout ce qui est russe. Au moyen de cette étude, le savant russe découvrira où l’on peut trouver les règles primordiales de notre langue, il verra qu’elles existent depuis les temps les plus reculés dans

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