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roles graves, afin que l’âme des cosaques s’élevât aussi pendant le repas.

Père Pouhatch dit d’abord les grâces, puis chacun prit du pain et sortit de sa poche une cuillère. (Tout cosaque zaporogue avait toujours sur lui une cuillère aussi bien qu’une pipe)…

Pendant le repas, on servit très peu de viande, mais beaucoup de poisson. Comme les moines, les cosaques zaporogues n’aimaient pas la viande. Toute la vaisselle était de bois ; assiettes comme gobelets, tout en bois. Les confrères arrosaient bien leur repas d’eau-de-vie, de bière, ou d’hydromel, mais personne ne s’enivrait : on y était tant accoutumé.

Ce jour-là, Kyrylo but plus que tous les autres ; le malheureux voulait sans doute étouffer le mal qui lui brûlait les épaules. Cependant le vin produisit peu d’effet. Il devint seulement très gai, et lorsque, le repas fini, les confrères se mirent à danser au son des « bandouras », il fit comme les autres et exécuta de tels tours que personne n’aurait pu croire qu’il était passé le jour même à la bastonnade. Les cosaques zaporogues ne pouvaient assez admirer une pareille endurance.

Pétro, après le dîner, voulait rentrer à la maison, mais Kyrylo Tour le retint, en disant : « Attends-moi, frère, je t’accompagne. On ne peut se tenir longtemps sur ses jambes après un bain pareil. Mais j’aurais honte de montrer ma faiblesse devant les compagnons. Une fois chez moi, je me mettrai au lit jusqu’à demain. »

Quelque temps après, Kyrylo Tour ordonna de seller deux chevaux et partit du « kiche »[1], après avoir dit quelques mots à l’oreille de son frère juré.

Lorsqu’ils arrivèrent près de la maison, la mère et la sœur de Kyrylo accoururent à leur rencontre. Leur joie était indescriptible. L’une prend le cheval par la bride, l’autre essaie de le faire descendre de la selle et lui se contente de sourire.

« Eh bien ! ne vous l’avais-je pas dit qu’il n’y avait pas de quoi vous faire du mauvais sang ! Mais il paraît que le bon Dieu vous a créées et mises au monde pour pleurnicher sans cesse. »

Elles voulurent l’embrasser, mais il les écarta des mains. « Ah, non, fit-il, pas de ça par exemple : les confrères ont déjà failli me chasser du « kourine », rien que pour de pareilles tendresses. »


  1. Siège de la Sitche zaporogue.
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