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l’heure du repas, on te délivrera et tu seras de nouveau libre. »

Force fut à Pétro d’attendre jusqu’au repas pour savoir s’il pourrait porter à la mère et à la sœur de Kyrylo une nouvelle consolante. En rôdant sur la place des conseils, il s’aperçut que ce n’était pas seulement Tchernohor qui protégeait Kyrylo Tour : beaucoup, des confrères serraient dans leurs mains la poignée de leurs sabres, comme pour dire : « Que quelqu’un ait envie de l’eau-de-vie, je la lui ferai bientôt couler de ses veines. » Et lorsque le tambour battit pour le repas, toute une foule de cosaques zaporogues s’élança vers Kyrylo Tour. On le détacha du poteau, on l’embrassait en le félicitant d’en être quitte.

« Allons, laissez-moi, fit Kyrylo Tour, si vous aviez été liés au poteau, l’envie des embrassades vous serait passée. »

« Eh bien ! dit en s’approchant, le père Pouhatch, comment trouves-tu les bâtons de la Sitche ? Probablement les épaules te font-elles aussi mal qu’à ce diable qui porta un moine jusqu’à Jérusalem. Tiens, mets ces feuilles dessus, demain tu seras guéri. On nous a battus aussi dans notre jeunesse, c’est pourquoi nous connaissons un remède à ce mal. »

Les confrères déshabillèrent Kyrylo Tour, Un frisson saisit Pétro, lorsqu’il vit que la chemise, brodée par sa tendre sœur, collait tout ensanglantée aux blessures. Kyrylo Tour serra les dents pour ne pas laisser échapper un gémissement quand on la lui détacha du corps. Ce fut le père Pouhatch, qui appliqua de ses propres mains sur les blessures de grandes feuilles qu’il avait recouvertes d’une espèce de colle.

Puis les confrères, en poussant des cris de joie, soulevèrent les cuveaux d’hydromel et d’eau-de-vie, prirent le panier de petits-pains et menèrent dîner Kyrylo Tour.

Les cosaques mangeaient sur l’herbe sous les chênes — chaque « kourine » à part avec son chef. Les anciens s’asseyaient dans le « kourine » de l’hetman ; mais le père Pouhatch vint partager le repas de Kyrylo Tour. Ce fut un grand honneur pour le « kourine » : Kyrylo Tour lui céda sa place de chef et s’assit lui même à côté du vieillard. Deux « kobzars »[1], placés en face d’eux, chantèrent des chansons de chevalerie, parlant des steppes et de la Mer Noire, de l’esclavage et des galères turques, des conquêtes et de la gloire des cosaques ; ils les débitaient en pa-

  1. Bardes.
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