Page:Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu'au milieu du XIXe siècle.djvu/17

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un frein à l’activité des presses ukrainiennes. Les idées politiques, par crainte des répressions, se renferment dans les correspondances privées, dans la littérature manuscrite ; elles prennent, autant que faire se peut, une forme modérée, mais le ton d’opposition est évident. En 1720, le tzar Pierre, sous un prétexte religieux — les intérêts de la pureté de l’orthodoxie ukrainienne — défendit par ukase d’imprimer aucun livre en ukrainien, non seulement d’en éditer de nouveaux, mais de ne réimprimer les anciens que dans une traduction russe. Une censure spéciale fut chargée d’avoir soin que dans les livres ukrainiens il n’y eût « aucune différence » (d’avec le grand-russe), ni « aucun dialecte spécial » ; l’imprimerie de Tchernyhiv, qui ne voulut pas se soumettre à la censure, fut saisie et transportée à Moscou. Ces mesures draconiennes portèrent un coup terrible au mouvement littéraire ukrainien : la production de livres imprimés fut réduite à un minimum et la vie intellectuelle nationale se cacha sous un vernis russe. Mais le résultat final se traduisit par une remarquable démocratisation de la littérature ukrainienne, qui se rapprocha de la vie populaire tant par le fond que par la forme.

La littérature théologique meurt ; elle meurt aussi cette langue savante, proche du peuple, mais point populaire, que l’on avait cultivée dans les écoles du xviie siècle. En revanche, on voit se cristalliser et se répandre cette littérature en langue purement populaire, non encore imprimée, mais qui, à la fin du siècle, devait faire sortir des presses son premier livre « L’Énéide travestie » de J. Kotlarevsky et cela à Pétersbourg. Les imprimeries de la capitale n’étaient pas soumises à la même censure prohibitive que les imprimeries ukrainiennes, ce qui explique que les premiers livres en langue ukrainienne parurent — en Grande-Russie.

Ce fait important — la transition de la langue littéraire, créée par la première renaissance, au parler purement populaire, tel qu’on le trouvait sur les lèvres des masses — assura encore une fois l’hégémonie spirituelle de l’Ukraine orientale sur la vie nationale. Et cela se passa sans bruit, presque inaperçu, sans tous ces débats philologiques, ces manifestes littéraires qui surgirent plus tard en quantités si considérables, lorsqu’il s’agit d’adopter en littérature la langue populaire en Ukraine Occidentale. Au début cette langue n’avait été employée que pour produire, d’après la recette scolastique, des effets comiques.

XIII