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Page:Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu'au milieu du XIXe siècle.djvu/66

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Si Dieu me permet de me sauver
De cette dure prison d’Azov,
Je pourrai honorer mes frères
Dans leur vieillesse et les vénérer. »

Ayant dit ces paroles, il continua à courir.
Et le plus jeune frère court
Un jour, deux, trois, quatre jours.
Enfin il sortit des ronces et des bois,
Entra dans la haute steppe, aux chemins vagues.
Plus de bois, plus de ronces.
Plus de marques.
Il trouva des morceaux d’étoffe rouge, des lambeaux jaunes.
Il les prend dans ses mains, les presse contre son cœur,
Et, les arrosant de ses larmes, prononce ces paroles :
« Hélas ! ce n’est pas pour rien que ces lambeaux
Jaunes et rouges gisent sur la route :
Sûrement mes deux frères ne sont plus de ce monde[1] !
Ils sont passés par ici à cheval,
La horde d’Azov les aura pourchassés et rattrapés,
Elle les aura tués à coups de sabre ou de fusil,
Ou ramenés vivants dans un esclavage plus amer encore,
Ou bien elle les aura donnés à une horde plus nombreuse,
Rapportant leur butin de cosaque dans la ville d’Azov.
Et moi, le plus jeune frère, le pauvre piéton,
Elle m’aura manqué.
Je voudrais bien savoir,
S’ils ont été tués à coups de sabre ou de fusil,
Pour que je puisse chercher leurs corps dans les vastes champs,
Les enterrer au milieu de la plaine,
Et ne pas les abandonner aux oiseaux et aux bêtes. »

Ayant dit ces mots, il recommence à courir,
Il arrive sur le tombeau Savour[2]
Et n’y trouve que de faibles traces de ses frères.
Il grimpe sur la tombe Savour
Et dit ces mots, en versant des larmes :
« C’est assez courir après mes frères à cheval,
Il est temps de donner du repos à mes jambes de cosaque.

  1. La partie que nous avons omise raconte que les frères aînés parviennent à se sauver ; les lambeaux d’étoffe que le plus jeune trouve n’étaient que des marques laissées par le frère cadet en pays découvert à défaut de branchages.
  2. Il s’agit de ces monticules élevés dans la steppe sur les anciens tombeaux.
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