Page:Apollinaire - Œuvres poétiques (extraits Poèmes à Lou), 1959.djvu/92

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À la première porte
La Raison Claire est morte
C’était t’en souviens-tu le premier jour à Nice
Ton œil de gauche ainsi qu’une couleuvre glisse
Jusqu’à mon cœur
Et que se rouvre encore la porte de ton regard de gauche

À la seconde porte
Toute ma force est morte
C’était t’en souviens-tu dans une auberge à Cagnes
Ton œil de droite palpitait comme mon cœur

Tes paupières battent comme dans la brise battent les fleurs

Et que se rouvre encore la porte de ton regard de droite

À la troisième porte
Entends battre l’aorte
Et toutes mes artères gonflées par ton seul amour
Et que se rouvre encore la porte de ton oreille de gauche

À la quatrième porte
Tous les printemps m’escortent
Et l’oreille tendue entends du bois joli
Monter cette chanson de l’amour et des nids
Si triste pour les soldats qui sont en guerre
Et que se rouvre encore la porte de ton oreille de droite

À la cinquième porte
C’est ma vie que je t’apporte

C’était t’en souviens-tu dans le train qui revenait de Grasse

Et dans l’ombre tout près tout bas
Ta bouche me disait
Des mots de damnation si pervers et si tendres
Que je me demande ô mon âme blessée