Page:Apollinaire - L’Hérésiarque et Cie.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’étais pas fort rassuré. En chemin, la vue du saint Onuphre, peint sur la maison qui porte actuellement le numéro 17 de la Marienplatz, m’assura que je vivrais au moins jusqu’au lendemain. Car cette image a la propriété d’accorder un jour de vie à qui la regarde. Il est vrai que, pour moi, cette vue n’avait que peu d’utilité ; je possède l’ironique certitude de survivre. Les juges me remirent en liberté, et, durant huit jours, je me promenai dans Munich.

— Vous étiez bien jeune alors, articulai-je pour dire quelque chose ; bien jeune ! Il répondit sur un ton d’indifférence :

— Plus jeune de près de deux siècles. Mais, sauf le costume, j’avais le même aspect qu’aujourd’hui. Ce n’était d’ailleurs pas ma première visite à Munich. J’y étais venu en 1334, et je me souviens toujours de deux cortèges que j’y rencontrai. Le premier était composé d’archers promenant une ribaude, qui faisait vaillamment tête aux huées populaires et portait royalement sa couronne de paille, diadème infamant au sommet duquel tintinnabulait une clochette; deux longues tresses de paille descendaient jusqu’aux jarrets de la belle fille. Ses mains enchaînées étaient croisées sur son ventre qui avançait vénérieusement, selon la mode d’une époque où la beauté des femmes