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LE POÈTE ASSASSINÉ

regard. Son esprit habitué aux formes poétiques, concevait l’amour comme une conquête. Des réminiscences de Boccace, son naturel hardi, son éducation, tout le disposait à oser.

Un jour de mai, il était allé, à cheval, faire une longue promenade. C’était le matin, la nature était encore fraîche. La rosée pendait aux fleurs des buissons et de chaque côté du chemin s’étendaient des champs d’oliviers dont les feuilles grises s’agitaient doucement aux brises maritimes et se mariaient agréablement au bleu céleste. Il arriva à un endroit où l’on travaillait à la route. Les cantonniers, de beaux garçons en bonnet de belles couleurs, travaillaient paresseusement en chantant et s’interrompaient parfois pour boire à leur gourde. Croniamantal pensa que ces beaux gars avaient des calignaires. C’est ainsi qu’en ce pays on nomme les amants. Les garçons disent « ma calignaire », les filles « mon calignaire », et de fait ils sont câlins et elles sont câlines dans cette belle contrée. Le cœur de Croniamantal se serra et tout son être exalté par le printemps et la chevauchée, cria vers l’amour.

À un tournant de route, une apparition augmenta sa peine. Il arriva près d’un petit pont jeté sur une rivière qui coupait le chemin. L’endroit était solitaire et, à travers les buissons et les troncs de peupliers, il vit deux belles filles se baigner