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LE POÈTE ASSASSINÉ

et si par hasard elle paraissait, se sauvant comme un voleur de peur qu’elle ne l’accusât de l’épier.

C’est en courant ainsi après Tristouse Ballerinette que Croniamantal continua son éducation littéraire.

Un jour qu’il cheminait à travers Paris, il se trouva soudain au bord de la Seine. Il passa un pont et marcha quelque temps encore quand tout à coup, apercevant devant lui M. François Coppée, Croniamantal regretta que ce passant fût mort. Mais rien ne s’oppose à ce qu’on parle avec un mort, et la rencontre était agréable.

« Allons, se dit Croniamantal, pour un passant c’est un passant, et l’auteur même du Passant. C’est un rimeur habile et spirituel, ayant le sentiment de la réalité. Parlons avec lui de la rime. »

Le poète du Passant fumait une cigarette noire. Il était vêtu de noir, son visage était noir ; il se tenait bizarrement sur une pierre de taille, et Croniamantal vit bien, à son air pensif, qu’il faisait des vers. Il l’aborda, et après l’avoir salué lui dit à brûle-pourpoint :

« Cher maître, comme vous voilà sombre. »