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LE POÈTE ASSASSINÉ

de poule. On me trouve maintenant si gracieuse que les autres femmes m’imitent.

« Quels miracles n’enfante pas l’amour d’un poète ! Mais qu’il pèse lourd l’amour des poètes ! Quelles tristesses l’accompagnent, quels silences à subir ! Tandis que maintenant le miracle est fait, je suis belle et glorieuse. Croniamantal est laid, en peu de temps il a mangé son avoir, il est pauvre et sans élégance, il est sans gaîté, le moindre de ses gestes lui vaut cent ennemis.

« Je ne l’aime plus, je ne l’aime plus.

« Je n’ai plus besoin de lui, mes adorateurs me suffisent. Je vais me séparer de lui lentement. Mais ces lenteurs vont m’ennuyer. Il faut que je m’en aille ou qu’il disparaisse, afin qu’il ne me gêne point, qu’il ne me reproche rien. »

Et, au bout de huit jours, Tristouse devint la maîtresse de Paponat, tout en continuant à aller voir Croniamantal, avec lequel elle était de plus en plus froide. Elle l’allait voir de moins en moins et il se désespérait de plus en plus, mais de plus en plus il s’attachait à Tristouse, n’ayant de gaîté que lorsqu’elle était là, et, les jours où elle ne venait pas, passant des heures devant la maison qu’elle habitait dans l’espoir de la voir sortir,