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LE POÈTE ASSASSINÉ

mode où elle allait parfois avec des amis. Il tournait au coin de la rue Le Péletier, lorsqu’un monsieur, coiffé d’une cape gris perle, l’aborda en disant :

« Monsieur, je vais réformer les lettres. J’ai trouvé un sujet sublime : il s’agit des sensations éprouvées par un jeune bachelier bien élevé qui a laissé échapper un bruit inqualifiable dans une assemblée de dames et de jeunes personnes de qualité. »

Croniamantal, se récriant sur la nouveauté du sujet, comprit aussitôt combien il prêtait à mettre en valeur la sensibilité de l’auteur.

Croniamantal s’en fut… Une dame lui marcha sur les pieds. Elle était auteur et ne manqua point d’affirmer que cette rencontre ou collision lui fournirait un sujet de nouvelle délicate.

Croniamantal prit ses jambes à son cou et arriva auprès du pont des Saints-Pères où trois personnes qui discutaient un sujet de roman le prièrent de juger leur cas ; il s’agissait d’écrire l’histoire d’un officier.

— Beau sujet, s’écria Croniamantal.

— Attendez, dit le voisin, un homme barbu, je prétends que le sujet est encore trop neuf et trop rare pour le public actuel.