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LE POÈTE ASSASSINÉ

« Elle n’est point ici, se dit-il, mon nez la sentirait, mes nerfs vibreraient, mes yeux la verraient. »

Il traversa la ville, passa les fortifications à pied comme poussé par une force inconnue le long de la grand’route, en aval, sur la rive droite du Rhin. Et de fait, Tristouse et Paponat, arrivés l’avant-veille à Cologne, avaient acheté une automobile et continuaient leur voyage ; ils avaient pris la rive droite du Rhin dans la direction de Coblence, et Croniamantal les suivait à la piste.

La nuit de Noël arriva. Un vieux rabbin prophétique de Dollendorf, au moment où il s’engageait sur le pont qui relie Bonn à Beul, fut repoussé par un violent coup de vent. La rafale de neige faisait rage. Le bruit de l’ouragan couvrait les chants de Noël, mais les mille lumières des arbres étincelaient dans chaque maison.

Le vieux juif sacra :

« Kreuzdonnerwetter… je n’arriverai jamais au Haenchen… Hiver, mon vieil ami, tu ne peux rien sur ma vieille et joyeuse carcasse, laisse-moi traverser sans encombre ce vieux Rhin qui est ivre comme trente-six ivrognes. Moi-même je ne me