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LE POÈTE ASSASSINÉ

sons pauvres où des ombres passaient vivement derrière les fenêtres éclairées. Des officiers en long manteau bleu passèrent. Croniamantal se tourna pour les suivre du regard, puis il sortit de la ville et alla, dans la nuit, contempler la masse sombre du Spielberg. Tandis qu’il examinait la vieille prison d’État, il y eut près de Croniamantal un bruit de pas, puis il vit trois moines le dépasser en gesticulant et parlant haut. Croniamantal courut après eux et leur demanda son chemin.

« Vous êtes Français, lui dirent-ils ; venez avec nous. »

Croniamantal les examina et vit qu’ils portaient sur leurs frocs de petits manteaux beige fort élégants. Chacun d’eux tenait une badine et était coiffé d’un chapeau melon. En route, un des moines dit à Croniamantal :

« Vous vous êtes fort éloigné de votre hôtel, nous vous indiquerons le chemin si vous voulez. Mais, si cela vous convient, vous pouvez fort bien venir au couvent : on vous recevra convenablement, puisque vous êtes étranger, et vous pourrez y passer la nuit. »

Croniamantal accepta joyeusement en disant :

« Je le veux bien, car n’êtes-vous pas mes frères, à moi qui suis poète ? »