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LE POÈTE ASSASSINÉ

avec un joli garçon qui avait le derrière fait en forme de cœur. Allons dîner, allons dîner.

Ils arrivèrent dans un vaste réfectoire encore vide, et le poète put examiner à son aise les fresques qui couvraient les murailles.

C’était Noé ivre-mort et couché. Son fils Cham découvrait la nudité de son père, c’est-à-dire un cep de vigne joliment et naïvement peint dont les branches servaient d’arbre généalogique ou à peu près, car c’étaient les noms des abbés du couvent que l’on avait peints en lettres rouges dans les folioles.

Les noces de Cana montraient un Mannekenpis pissant du vin dans les barriques, tandis que la mariée, enceinte d’au moins huit mois, présentait son ventre pareil à un baril à quelqu’un qui écrivait dessus, au charbon : Tokaï.

C’étaient encore les soldats de Gédéon se soulageant de l’affreuse colique causée par l’eau qu’ils avaient bue.

La longue table qui tenait le milieu de la salle, en longueur, était mise avec une rare somptuosité. Les verres et les carafes étaient de cristal taillé de Bohême, du cristal rouge le plus fin, dans lequel