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LE POÈTE ASSASSINÉ

« Ton héros, populace, c’est l’Ennui apportant le Malheur. »

Un cri d’étonnement sortit de toutes les poitrines. Des femmes firent le signe de la croix. Tograth voulut parler, mais Croniamantal le saisit brusquement par le cou, le jeta sur le sol et l’y maintint en posant un pied sur sa poitrine. En même temps il parla :

« C’est l’Ennui et le Malheur, le monstre ennemi de l’homme, le Léviathan gluant et immonde, le Béhémoth souillé de stupres, de viols et par le sang des merveilleux poètes. Il est le vomissement des Antipodes, ses miracles ne trompent pas plus les clairvoyants que les miracles de Simon le magicien n’en imposaient aux Apôtres. Marseillais, Marseillais, pourquoi vous dont les ancêtres s’en sont venus du pays le plus purement lyrique, vous êtes-vous solidarisés avec les ennemis des poètes, avec les barbares de toutes les nations ? Le plus étrange miracle de l’Allemand revenu d’Australie, le connaissez-vous ? C’est d’en avoir imposé au monde et d’avoir été un instant plus fort que la création même, que la poésie éternelle. »

Mais Tograth, qui avait pu se dégager, se dressa, sali de poussière et ivre de rage, il demanda :