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LE ROI-LUNE

quelles s’enroulaient des câbles métalliques ; de ces poulies les câbles filaient en sens différents le long du plafond et après avoir passé dans des anneaux fixés à la corniche descendaient le long des murailles, où l’on pouvait les baisser, les remonter et les arrêter à volonté. Il en était de même des sièges de cette singulière salle à manger : ils avaient tous l’air d’escarpolettes. Des lampes électriques brillaient dans des ampoules de teintes différentes. Je remarquai qu’il y avait toutes les couleurs du prisme et ces ampoules suspendues du bout de leur fil étaient disposées comme à plaisir et au hasard dans toute la salle et à des hauteurs différentes, il y en avait même qui semblaient sortir de la plinthe près du plancher. Ces lumières aux teintes versicolores étaient si bien distribuées qu’on eût dit qu’il régnait dans la salle la lumière même du soleil.

Je ne vis point de domestiques, mais au bout d’un instant, les convives ayant assez mangé des mets qui leur avaient été servis, les valets entrèrent par les portes du fond pour emporter le premier service et d’autres serviteurs arrivèrent poussant devant eux un petit chariot où était étendu, sur un lit de bois sec, un bœuf tout vivant qu’on y avait solidement attaché. Lorsque le chariot, dont le fond pouvait dégager une chaleur électrique suffisante