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LE ROI-LUNE

L’effet qu’on attendait de ces nudités s’étant produit, ces jeunes gens prirent les attitudes les plus débraillées possibles. Ils firent étalage de leur vigueur et, ouvrant les boîtes, ils déclanchèrent les appareils, qui se mirent à tourner lentement, assez semblablement aux cylindres des phonographes. Les opérateurs ceignirent encore une sorte de ceinture qui par un bout tenait à l’appareil, et il me parut qu’ils devaient tous ressembler à Ixion lorsqu’il caressait le Fantôme de Nuées, l’invisible Junon. Les mains de ces jeunes gens s’égaraient devant eux comme s’ils palpaient des corps souples et adorés, leur bouche donnait à l’air des baisers enamourés. Bientôt ils devinrent plus lascifs et, pétulants, se marièrent avec le vide. J’étais déconcerté, comme si j’avais assisté aux jeux inquiétants d’un collège de fous priapiques ; des sons sortaient de leur bouche, des phrases d’amour, des hoquets voluptueux, des noms si anciens où je reconnus ceux de la très sage Héloïs, de Lola Montés, d’une certaine octoronne qui devait provenir de je ne sais quelle plantation de la Louisiane au xviiie siècle ; quelqu’un parlait d’un « page, mon beau page ».

Cette orgie anachronique me rappela soudain les inscriptions du couloir. J’écoutai avec plus d’attention les termes lascifs et j’assistai à l’accomplisse-