Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
165
LE ROI-LUNE

n’osant revenir sur mes pas, j’ouvris au hasard et sans faire aucun bruit une petite porte près de l’orgue. Il était huit heures du soir environ. Je jetai un coup d’œil dans une grande salle qui n’était pas moins éclairée que celle où je me tenais et qui était toute parfumée à l’essence de roses.

Un homme au visage jeune (il avait cependant alors environ soixante-cinq ans) s’y tenait vêtu comme un grand seigneur français du règne de Louis XVI. Ses cheveux nattés à la Panurge étaient surchargés de poudre et de pommade. Comme je pus m’en rendre compte par la suite, des scènes de Richard Cœur de Lion étaient brodées sur son gilet et des boutons de deux pouces de diamètre contenaient sous verre douze miniatures, portraits des douze Césars.

Autour de la salle, de grands pavillons de cuivre sortaient de la muraille.

Le curieux personnage, dont l’aspect anachronique contrastait si fort avec la modernité métallique de cette salle, était assis devant un clavier sur une touche duquel il appuya d’un air las et elle resta enfoncée, tandis qu’il sortait d’un des pavillons une rumeur étrange et continue dont je ne distinguai d’abord pas le sens.

L’inconnu écouta un moment avec attention ces rumeurs. Tout à coup il se leva et, faisant un geste