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LE ROI-LUNE

Ensuite, ce beau matin se continua dans la molle Taïti. Nous voilà au marché de Papeete, les lascives vahinés de la Nouvelle-Cythère y erraient, on entendait leur beau langage guttural et presque semblable au grec antique ; on entendait aussi la voix des Chinois qui vendent le thé, le café, le beurre et les gâteaux ; le son des accordéons et des guimbardes…

Nous voici en Amérique, la prairie est immense, une ville sans doute a surgi, autour de cette station d’où repart le pullman dont, de concert avec le roi, j’entends le sifflement.

Bruits terribles de la rue, tramways, usines, il paraît que nous sommes à Chicago, à l’heure de midi.

Nous voici à New-York, où chantent les vaisseaux sur l’Hudson.

Des prières violentes s’élèvent devant un christ à Mexico.

Il est quatre heures. À Rio-de-Janeiro passe une cavalcade carnavalesque. Les balles de caoutchouc, lancées par des mains sûres, s’aplatissent avec bruit sur les visages et répandent les eaux de senteur comme les alcancies moresques d’autrefois, plic, ploc, rires, ah ! ah !

C’est six heures sur Saint-Pierre-de-la-Martinique, les masques se rendent en chantant dans les