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GIOVANNI MORONI

ne sortaient généralement point de la banalité courante. Toutefois je l’entendis un jour parler de ses jeunes années, et ce récit d’un pérégrin m’a paru assez saisissant et assez savoureux pour que j’aie tenté de le reproduire.

« Ma mère s’appelait Attilia. Mon père, Beppo Moroni, fabriquait des jouets de bois, livrés pour quelques sous aux grands marchands qui les revendaient fort cher. Il s’en plaignait souvent. J’avais toutes sortes de jouets : des chevaux, des polichinelles, des sabres, des quilles, des pantins, des soldats, des chariots. Tout était en bois, et souvent je menais un tel bruit, je faisais tant de désordre que ma mère levait les bras en s’écriant :

« Vierge sainte ! quel vaurien ! Ah ! Giovannino, tu l’as été dès ton baptême. Pendant que le prêtre versait l’eau sur ton front, tu mouillais tes langes. »

« Et la bonne Attilia me gratifiait de taloches que j’essayais de parer en criaillant et sanglotant désespérément.

« Cette époque de mon enfance à Rome m’a laissé des souvenirs très précis.

« Les plus lointains remontent à l’âge de trois ans.