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GIOVANNI MORONI

« Je me revois surveillant la combustion dans une cheminée, sur un feu de bois, d’une pomme de pin pignon et faisant ensuite sortir de leurs alvéoles les amandes à enveloppe dure comme un os et y ressemblant.

« Je me souviens des fêtes de l’Épiphanie. J’étais joyeux d’avoir de nouveaux jouets que je croyais apportés par la Befana, cette sorte de fée laide et vieille comme Morgane, mais douce aux enfants et de cœur tendre. Ces fêtes des rois mages, pendant lesquelles je mangeais tant de dragées fourrées d’écorce d’orange, tant de bonbons à l’anis m’ont laissé un arrière-goût délicieux !

« Le jour, malgré le froid, je restais avec mon père dans la baraque qu’il tenait sur la Piazza Navona et où il avait le droit, pendant cette semaine, d’écouler ses jouets. Beppo me laissait courir d’une baraque à l’autre, et le soir, Attilia, apportant le repas de son mari et venant me prendre pour me coucher, devait me chercher longtemps en se lamentant de ce que des bohémiens m’avaient peut-être enlevé.

« Je me souviens aussi du supplice des cafards, qui revenait chaque mois. Ma mère les réunissait, je ne sais comment, dans un vieux tonneau, et j’étais alors admis à assister à leur trépas. Elle versait de l’eau bouillante sur les malheureuses bêtes,