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GIOVANNI MORONI

dont les agitations, les courses, les bonds désordonnés avant la mort m’enchantaient.

« Hors du temps de la Befana, ma mère me menait souvent en promenade avec elle, tandis que son mari travaillait à la maison.

« C’était une belle brune, encore jeune. Les sergents retroussaient leur moustache en passant près d’elle. Je l’aimais beaucoup, surtout parce qu’elle avait pour pendants d’oreilles de grands cercles d’or fort lourds. Par ce détail, je la jugeais supérieure à mon père, qui, lui, n’avait aux oreilles que de petits cercles, minces comme du fil.

« Lorsque nous sortions, nous allions dans les églises, au Pincio, au Corso, voir passer les belles voitures. L’hiver, avant de rentrer, ma mère m’achetait de bonnes châtaignes chaudes et, l’été, une tranche de pastèque, froide comme une glace à peine sucrée.

« Souvent nous rentrions en retard, et c’étaient alors des disputes qui parfois devenaient terribles. Ma mère était jetée sur le plancher, traînée par les cheveux. Je revois nettement mon père piétiner la poitrine dénudée de ma mère, car pendant la lutte