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LA FAVORITE

Elle était brune, encore belle et bien faite ; elle souriait, l’air faux, en minaudant et sa peau sèche et mate comme la paille de maïs attestait seule l’approche de la cinquantaine. Sur le cou et sur la face couraient les ombres de ses années. Et sur ses yeux encore humides comme le velours d’une loutre nageant à la surface de l’eau, les durs frissons du regret et d’une fin d’espoir mettaient parfois les miroitements bleus et froids de l’acier.

Les passions impétueuses de cette femme du peuple ne se traduisaient chez elle par aucune émotion. Elle le sentait, et s’efforçait, par la mobilité de la bouche, des yeux, par des gestes dramatiques, de montrer la violence de ses sentiments auxquels elle n’obéissait pas naturellement.

Ses attitudes étaient nobles, mais étudiées.

Elle dit : « Il est mort ! » et avec un grand cri cacha sa figure dans son tablier et il n’y eut rien dans sa douleur qui ne parût feint. Vite, elle abaissa son tablier et s’adressa à cet homme qui se tenait devant la maison du lotto :

« C’est aujourd’hui le 3, Costantzing !… Il est mort le 3 ! Joue sur le 3, Costantzing, joue sur le 3 ! »

On commençait à se rassembler autour de la