Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
202
LA FAVORITE

civière. Il y avait de petits gamins qui parlaient fort avec des voix d’hommes. Il y avait des gamines qui portaient des bébés dans les bras. Il y avait quelques ouvriers qui s’étaient mis à jouer à la morra en face du mort.

Un monsieur bien habillé s’arrêta près de la civière.

La Cichina le regarda en minaudant et en pleurnichant :

« Il était si brave, si brave ! Je lui ferai faire une belle couronne. »

Les porteurs reprirent la civière et la portèrent dans la bicoque de la Cichina. Le mort entra nonchalamment comme un souverain oriental. On le déposa au centre de l’unique chambre qui sentait l’encens, la pâte aigre et la puanteur de la morue sèche qui dessalait dans l’eau d’une cuvette de terre vernissée, posée sur le sol. Au fond de la pièce était le lit ; au-dessus, un rosaire suspendu à la muraille, sous une palme tressée, encadrait une lithographie qui représentait Victor-Emmanuel entre Garibaldi et Cavour.