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LA CHASSE À L’AIGLE

Je m’égarai dans les faubourgs, et, après bien des détours, j’arrivai dans une rue déserte, large et mal éclairée. J’avisai une boutique et, quoiqu’elle fût très sombre et parût abandonnée, je me préparais à y entrer afin de demander mon chemin, quand mon attention fut attirée par un passant qui me dépassa en me bousculant légèrement. Il était petit de taille et une pèlerine d’officier flottait sur ses épaules. Je marchai plus vite et je le rattrapai. Il m’apparut de profil et dès qu’il me fut donné de distinguer ses traits, je reculai. Au lieu de face humaine, l’être qui se tenait à côté de moi avait un bec d’aigle recourbé, solide, épouvantable et infiniment majestueux.

Surmontant mon effroi, je repris ma marche en avant, en examinant attentivement l’étrange personnage à corps humain supportant une tête d’oiseau rapace. Il se tourna aussi de mon côté et, tandis que ses yeux me fixaient, une voix chevrotante de vieillard prononça, en allemand, des paroles dont voici le sens :

« Ne craignez rien, monsieur. Je ne suis pas méchant. Je suis très malheureux. »