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LA CHASSE À L’AIGLE

Hélas ! la réponse me manqua, aucun son ne sortit de mon gosier, desséché par l’angoisse. La voix reprit, mais impérieuse et avec une nuance de mépris :

« Mon masque vous fait peur ? Ma véritable face vous effrayerait davantage. Aucun Autrichien ne saurait la contempler sans terreur, car, je le sais, je ressemble parfaitement à mon grand-père… »

À ce moment, une troupe envahit la rue, courant et criant ; d’autres gens sortirent des boutiques et des têtes se penchèrent aux fenêtres. Je m’arrêtai et regardai derrière moi. Je vis que ceux qui venaient étaient des soldats, des officiers vêtus de blanc, des laquais en livrée et un Suisse gigantesque qui brandissait une longue canne à pommeau argenté. Quelques valets d’écurie couraient autour d’eux et portaient des torches enflammées. J’étais curieux de savoir quel pouvait être l’objet de leur poursuite et je portai mon regard du côté vers lequel ils se dirigeaient. Mais je ne vis devant moi que la silhouette fantastique de l’homme au masque en bec d’aigle qui fuyait, les bras écartés et la tête tournée comme s’il avait voulu se rendre compte du danger qui le menaçait.